Le pied joue un rôle en tant qu’interface entre le cycliste et son vélo, permettant de convertir la force musculaire en énergie mécanique. Cette interface, clé pour une transmission efficace, dépend en grande partie du positionnement des cales. Ce dernier est un facteur déterminant pour maximiser la performance et prévenir les blessures, rendant indispensable une approche minutieuse de son ajustement.
Le pied humain témoigne des adaptations progressives de l’anatomie humaine pour s’adapter à l’évolution de la locomotion, passant de la quadrupédie à la bipédie. Spécificité du bipède : l’arche médiale s’est développée au moment de l’apparition de la bipédie permanente. La caractéristique principale du pied est sa fonctionnalité : il doit permettre à l’humain de se déplacer sur de longues distances.
Comprendre le pied du terrien pour comprendre le pied du cycliste
La plante du pied est tapissé de muscles courts, mono-articulaires ; leur disposition permet d’agir obliquement, longitudinalement et transversalement par rapport à l’axe du pied. Ces muscles dits intrinsèques sont complétés par d’autres s’insérant sur les os de la jambe, se prolongeant sur les os du pied par de longs tendons. Ces muscles dits extrinsèques agissent sur la cheville et le pied.
En statique, les deux structures sont complémentaires pour soutenir la voûte plantaire. En dynamique, les deux ensembles permettent, également, d’articuler le pied dans différentes dimensions : flexions plantaire et dorsale, supination, pronation.
Le triceps sural est un complexe musculaire comprenant le soléaire et les deux chefs du gastrocnémien (jumeaux interne et externe), couvrant l’arrière de la jambe. Ces trois unités musculaires se rejoignent sur le tendon calcanéen. Ce dernier se prolonge par l’aponévrose plantaire qui couvre le pied d’une nappe fibreuse. Ils forment une unité fonctionnelle, l’appareil tricipito-calcanéo-plantaire, un extenseur puissant de la cheville.
Le tendon calcanéen est une structure fibreuse, suffisamment élastique pour emmagasiner de l’énergie et raide pour transmettre les forces aux leviers osseux.
La disposition des fibres de l’aponévrose plantaire contient la voûte plantaire lorsque le pied est en charge. Les muscles intrinsèques et extrinsèques assurent un système de sanglage et limitent la déformation de la voûte plantaire pendant la phase de réception par une contraction excentrique de freinage. A l’image d’un ressort, les tendons de ces muscles emmagasinent l’énergie produite par l’écrasement et la restituent en fin de phase d’appui pour la propulsion.
Le pied du cycliste
Au Studio 446, on prend au sérieux le positionnement des cales. Pour comprendre comment le pied du cycliste intervient sur la pédale, nous avons choisi d’analyser les efforts et l’orientation de la force appliquée au niveau de la pédale. Les capteurs de puissance, reflets des avancées technologiques, permettent d’analyser l’application des forces sur les pédales et d’isoler la composante la plus utile au déplacement.
Mesure des efforts externes
Les travaux récents de Rodrigo Blini [Bini, 2014] offrent une synthèse des forces exercées sur la pédale et leur direction théoriquement optimale. La force optimale (dite résultante) est une combinaison de la force appliquée par le pied sur la surface de la pédale (force normale) à laquelle s’ajoute une composante antéro-postérieure (permettant le déplacement de la pédale).
Le concept de Force Effective [Grappe, 2009] permet de connaître le niveau d’efficacité du pédalage. il définit le pourcentage de force totale perpendiculaire à la manivelle. Un indice élevé signifie que le mouvement de pédalage est efficace.
De cette manière, même si la pédale va suivre le cycle naturel imposé par la rotation du pédalier, la cheville est capable d’ajuster la position du pied et donc de la pédale pour appliquer la force dans la bon ne direction.
L’image ci-dessous est une interprétation libre des travaux de Blini [Blini, 2014]. On peut y observer l’orientation des forces antéro-postérieures, l’orientation optimale de la force et le placement du pied pour répondre au mouvement.
Estimation des efforts articulaires
Les travaux d’Ericson [Ericson, 1986] ont permis de comprendre d’où venait la puissance totale délivrée à la pédale au cours du mouvement de pédalage :
- au niveau de la hanche : extenseurs 27%, fléchisseurs 4%;
- au niveau du genou : extenseurs 39%, fléchisseurs 10%
- au niveau de la cheville : fléchisseurs plantaires 20%
Finalement, la flexion plantaire créé 20% de la puissance totale mais le pied doit transmettre 100% de cette puissance à la pédale à chaque moment du cycle de pédalage.
Biomécanique fonctionnelle de la cheville
La cheville remplit 2 fonctions.
- Elle doit être mobile pour orienter le pied tout au long du cycle de pédalage. Le triceps sural va permettre la flexion plantaire du pied ; il contribue à la création de force.
- La cheville doit être stable. Le triceps sural travaille en chaîne série avec les muscles plantaires. Le tendon calcanéen prolonge le TS et rejoint l’aponévrose plantaire qui stabilise le pied lorsqu’il est en charge. Ces deux structures fibreuses sont à la fois capables d’emmagasiner de l’énergie et de la restituer à la pédale (Force normale).
Les muscles plantaires permettent de maintenir le pied en limitant la déformation de la voûte plantaire. L’appui du pied sur la pédale génère tout un système de tension au niveau des muscles intrinsèques permettant à la fois de stabiliser le pied et en même temps d’emmagasiner et restituer de l’énergie. Le pied n’est pas simplement appuyé sur la pédale, il dynamise l’appui. Il ne faut pas négliger les muscles extrinsèques du pied qui agissent sur la cheville et le pied. Ils permettent de gérer les mouvements d’éversion et d’inversion du pied.
Le recrutement musculaire
Chaque muscle possède un rôle plus ou moins important dans le mouvement de pédalage [Dorel, 2008]
- Durant la phase de poussée (45° à 165°), on observe une activité importante des extenseurs de la cheville entre 100° et 165°. Non seulement la puissance produite par l’extension du genou se transmet aux muscles de la jambe (principalement les muscles gastrocnémiens) mais, en plus, la création de cette puissance n’est possible que si la flexion plantaire est forte. On relève, également, une activité importante du tibial antérieur sur la plage de rotation 45°-165° qui semble montrer son importance dans le maintien du pied sur la pédale.
- Le passage du point mort bas (160° à 210°) est critique. Aux environs de 165°, l’extension du membre inférieur est complète. Pour éviter qu’il y ait une rupture de l’activité motrice, les muscles de la jambe vont assurer le transfert d’énergie et la continuité du mouvement.
- Durant la phase postérieure (210° à 345°), l’activité est subtile. Passive, la jambe devient un poids mort pour l’autre membre qui doit faire un effort supplémentaire pour l’emmener. Trop active, elle exerce une résistance indésirable. L’enjeu est d’alléger, comme il se doit, la jambe pour que cette phase s’inscrive dans la continuité des précédentes et prépare le moment suivant. Dans ce contexte, l’activité du tibial antérieur permet de maintenir la tension dans le pied et la jambe afin d’accompagner la pédale.
- Le passage du point mort haut (345° à 45°) est également critique. Le tibial antérieur est encore une fois actif pour accompagner le mouvement.
Le positionnement des cales
Pour le positionnement des cales, de très nombreuses études (De Vey Mestdagh, 1998 ; Silberman et al., 2005) placent, avantageusement, la tête du premier métatarse dans l’alignement de l’axe de la pédale. A cet endroit, la pression plantaire est plus élevée par rapport aux autres zones du pied (Sanderson, Hennig et Black 2000). D’ailleurs, ces chercheurs ont montré que cette position était particulièrement importante lorsque la puissance mécanique développée augmentait.
D’autres recherches sur le positionnement des cales(Holmes et al., 1994 ; De Vey Mestdagh, 1998 ; Van Sickle & Hull, 2007) ont remarqué qu’un décalage de la cale vers l’avant augmentait les forces transmises au tendon calcanéen et au muscle gastrocnémien, une position susceptible de provoquer des douleurs ou des tendinopathies. Plus récemment, de nouveaux chercheurs (FitzGibbon et al., 2016 ; Burt, 2014) recommandent d’aligner l’axe de la pédale avec le milieu du 1er et 5ème métatarse ce qui pourrait améliorer la stabilité du pied par la réduction du bras de levier de la pédale ce qui réduirait le risque de blessure au tendon calcanéen.
Quoi qu’il en soit, il semblerait que le déplacement antéro-postérieur du positionnement des cales dans une marge de 50mm n’ait aucun impact sur les variables physiologiques et la performance pendant le pédalage sous-maximal (Paton, 2009 ; Van Sickle & Hull, 2007).
En conclusion, le pied joue un rôle primordial dans l’efficacité du pédalage et la prévention des blessures, notamment par l’intermédiaire du positionnement des cales. La transmission de la puissance musculaire à travers la cheville et le pied dépend d’une coordination fine entre les muscles intrinsèques et extrinsèques, ainsi que de la stabilisation apportée par la voûte plantaire. Les recherches montrent que pour le positionnement des cales l’alignement du premier métatarse avec l’axe de la pédale optimise non seulement la performance mais réduit aussi le risque de blessures, soulignant l’importance d’un ajustement minutieux des cales pour chaque cycliste.